De la comptabilité carbone à tous les étages
Bienvenue dans le troisième numéro de 55 degrés à l’ombre, la newsletter qui décrypte l’actualité des entreprises face aux enjeux climatiques.
Au menu :
Du fact-checking de calculs carbone
Comprendre l’intensité carbone de l’électricité
Les 150 feuilles de route de la Convention des Entreprises pour le Climat
L’effet démultiplicateur d’un dirigeant normand engagé
Transporter des fusées par ballon
Le nouveau podcast du ClimateAct
Le lancement de la Fresque de la Finance
Contribuer à notre enquête sur les actions écosystémiques
Bonne lecture.
L’équipe Magelan
Édito
En France, les entreprises de plus de 500 salariés doivent réaliser une estimation de leurs émissions de gaz à effet de serre tous les quatre ans. Le seuil de 500 salariés pourrait être réduit, par exemple à 50 employés comme le proposait la Convention Citoyenne pour le Climat. Un jour, la comptabilité carbone pourrait devenir obligatoire pour toutes, à l’instar de la comptabilité monétaire. On comptera alors autant en euros qu’en CO2e (”équivalent CO2”).
Mais au fond, est-ce une si bonne idée ?
Oui, car cela rendrait le sujet visible pour le plus grand nombre. On pourrait ainsi généraliser l’affichage environnemental, calculer de manière plus précise l’empreinte carbone des achats de services des entreprises - aujourd’hui fondée sur des ratios monétaires génériques imprécis, qui constituent la principale frustration des consultants climat - ou encore concrétiser des projets utopiques, comme la mise en place d’un budget carbone par personne (projet de l’association Allocation Climat).
Cela permettrait aussi une montée en compétences générale sur ce sujet, ce qui rendrait les exercices de greenwashing présentés dans cette newsletter plus périlleux.
Pour autant, la comptabilité carbone ne doit pas être perçue comme le levier central de la décarbonation, ni comme un prérequis à l’action climatique des entreprises. Ses limites sont d’ailleurs bien documentées.
L’urgence climatique pousse à l’action et il est possible d’agir sans attendre la finalisation d’un exercice de comptabilité carbone complet.
Quelques raccourcis à envisager sans délai :
Consulter des publications d’empreinte carbone d’entreprises similaires à la vôtre pour généraliser les enseignements. Les répertoires de publications (ADEME, ClimateAct, OpenClimat) ou encore les guides sectoriels peuvent vous y aider.
Mettre en place des actions pour réduire les émissions standards, communes à toutes les entreprises : éviter les déplacements en avion/voiture qui peuvent l’être, privilégier du reconditionné à l’achat d’équipements neufs, relocaliser vos sous-traitants (usines, serveurs Cloud, etc.) vers des zones où l’intensité est moins carbonée ou encore optimiser la consommation énergétique de vos bureaux, etc.
Bref, la comptabilité carbone doit s’apprivoiser par étapes, pour orienter et soutenir les intentions d’agir - jamais les freiner.
Comprendre
Fact-checking de calculs carbone
Lorsqu’on compte du carbone, la marge de manœuvre est grande : on peut définir ses propres hypothèses, allonger la durée d’amortissement des biens, etc. On peut ainsi orienter les résultats. Surtout quand le client est pressant.
C’est ce qu’ont probablement dû subir les équipes du cabinet South Pole, qui ont accompagné la FIFA et le comité d’organisation qatari pour estimer l’empreinte carbone de la prochaine coupe du monde de football. Manque de bol, l'ONG Carbon Market Watch s’est penchée sur les chiffres. Elle estime que l'empreinte carbone de cet évènement serait cinq fois plus importante qu'annoncé. Le tour de passe-passe utilisé : amortir les émissions liées à la fabrication des stades sur 60 ans, alors que - dans les faits - leur utilisation réelle une fois la compétition terminée est assez hypothétique.
Une autre entreprise est concernée par un débat technique sur le calcul de son empreinte carbone : TotalEnergies. Les équipes de Greenpeace lui reprochent d’avoir omis plusieurs sources d’émission de son périmètre, et notamment les émissions liées à la combustion du carburant vendu, lui permettant d’obtenir un résultat quatre fois inférieur à la réalité. À suivre.
Les auteurs de ces deux calculs peuvent se rassurer : l’Association Bilan Carbone planche sur le sujet de la vérification d’un Bilan Carbone, pour pouvoir proposer un dispositif de peer-review à destination des consultants.
Savoir jongler avec l’intensité carbone de l’électricité, une compétence utile cet hiver
L’intensité carbone de l’électricité correspond à la quantité de gaz à effet de serre émise pour produire ou consommer 1 kWh d’électricité. Ce paramètre varie selon la localisation, la saison (ex : en hiver, des centrales au gaz ou charbon sont davantage utilisées) ou encore l’heure de la journée (ex : la nuit, la production des centrales photovoltaïques est nulle).
Le plus formidable des outils pour comprendre le sujet est ElectricityMaps, une carte qui représente l’intensité carbone de l’électricité en temps réel dans une majorité de pays.
Vous pouvez retenir :
Plus on consomme de l’électricité au même moment (ex : à 19h), plus l’intensité carbone de l’électricité est élevée
Plus l’hiver est froid, plus l’intensité carbone de l’électricité est élevée
Moins les modes de production bas-carbone (renouvelables et nucléaires) produisent d’électricité, plus l’intensité carbone de l’électricité est élevée
L’hiver qui approche s’annonce donc compliqué, tant en ce qui concerne les pics d’intensité carbone de l’électricité que les risques de coupure, même si RTE considère ces derniers comme moins alarmants que prévu (ce qui est assez discutable).
Pour réduire l’empreinte carbone de son entreprise, jouer avec l’intensité carbone de l’électricité est un formidable levier. On peut charger ses véhicules électriques au bon moment pour un gain en CO2 de 10% (source : ElectricityMaps) ou encore relocaliser ses serveurs Cloud vers des zones à faible intensité carbone pour un gain en CO2 de 90% (source : HuggingFace).
Pour s’en servir dans ses choix du quotidien, les services EcoWatt et Adapt proposent des prévisions sur l’intensité carbone de l’électricité française sur les heures et jours à venir. Précieux.
S’inspirer
Les 150 feuilles de routes des entreprises de la Convention des Entreprises pour le Climat
Plus de 150 dirigeantes et dirigeants se sont réunis pendant 11 mois entre 2021 et 2022 pour penser et formaliser des feuilles de route environnementales pour leur entreprise. Le rapport vient de paraître, ainsi que l’intégralité des 150 feuilles de route. La plateforme permet de filtrer par secteur et par taille d’entreprise, ce qui est particulièrement pratique.
On a apprécié les ajustements de modèles économiques envisagés, notamment le passage de la vente à la location de produits (ex : Epalia, leader du réemploi de palettes en bois) ou le développement d’offres de services complémentaires à la vente de produits (ex : Mustela, produits de soin pour bébé).
L’effet démultiplicateur d’un dirigeant normand engagé
Pascal Vazard dirige la société d’ameublement Vazard Home à Vernon. En 2021, il se lance dans la mesure de son empreinte carbone via la démarche ACT Pas-à-Pas de l’ADEME. Il en ressort un plan d’actions à la fois pragmatique et ambitieux : éliminer les matériaux de synthèse, électrifier les procédés, mutualiser les envois de fret, offrir la recharge électrique aux clients et employés, etc.
En parallèle, il souhaite contribuer au delà du périmètre de son entreprise. Il participe ainsi à la structuration d’un collectif, Action Transition, regroupant une quinzaine d’industriels normands. L’objectif : collaborer pour répondre à des problématiques communes et accélérer l’atteinte de neutralité carbone en 2050. Aujourd’hui, le collectif fait intervenir des étudiants de l’école d’ingénieur locale sur les calculs carbone et est sur le point d’embarquer une dizaine de nouvelles entreprises (industriels de la voirie, du carton ou du bâtiment) dans la démarche.
On vous laisse avec les bons mots de Pascal :
Créer des liens qui n’existent pas a un effet démultiplicateur qui sera essentiel pour espérer atteindre le point de bascule [vers une économie neutre en carbone].
Transporter des fusées par ballon
Parfois, on doit rabâcher à nos clients les chiffres sur l’empreinte carbone des différents modes de transport de marchandise pour les orienter vers les moins émissifs.
Parfois, ce n’est clairement pas la peine. C’est ce qui s’est passé avec Latitude, qui nous a pris de court en signant un partenariat avec le spécialiste des (gros) ballons dirigeables Flying Whales pour le transport de son futur lanceur de microsatellites, de Reims vers l’Ecosse.
Si vous avez aimé le film Là-haut de Pixar, il est fort probable que l’entreprise vous fascine. Sur leur site, vous découvrirez même qu’ils viennent de boucler une levée de fonds de 122 millions d'euros pour passer à la vitesse supérieure. Stratosphérique.
Le nouveau podcast du ClimateAct
Le ClimateAct est un collectif de 300 entreprises engagées dans la lutte contre le changement climatique. Le projet est à l’initiative d’Antoine Msika, responsable de la transition écologique chez Shine.
Dans son nouveau podcast, Antoine part à la rencontre des équipes pour comprendre comment elles sont passées à l’action. 30 min par épisode. Avec : Sendinblue (numérique), Daphni (investissement), Foodles (alimentation), Getaround (mobilité), Morning (immobilier), Back Market (reconditionnement) et Lunii (jouets).
Pour ceux qui nous suivent depuis le début, le format ressemble à celui de nos épisodes réalisés en 2020 avec : Picture (mode), Arkose (escalade) et … Shine (banque).
Agir
Participer au déploiement de la Fresque de la Finance
Les Fresques du Climat n’arrêtent pas de se démultiplier, elles aussi. Sous différentes variantes. Après la Fresque du numérique, la Fresque de la biodiversité ou encore la Fresque des nouveaux récits (notre chouchoute), la nouvelle en date est la Fresque de la Finance. Avec comme objectif de sensibiliser sur le rôle de la finance dans la transition écologique. Vous pouvez vous inscrire pour participer aux prochaines sessions, ou, encore mieux, rejoindre l’équipe pour déployer l’initiative.
Contribuer à l’étude écosystémique
Dans le cadre de notre grande enquête sur le thème (de niche) des actions écosystémiques des entreprises, nous sommes toujours à la recherche de témoignages d’entreprises ayant réussi à mener des actions de décarbonation avec d’autres acteurs de leur chaîne de valeur. Si vous connaissez quelqu’un qui connaît quelqu’un qui a mis en place ce genre d’initiative, vous pouvez nous en parler ici.